L'Auberge de Tatsun

[Premier post]

Doucement, la porte pivota sur ses gonds, laissant entrer un rai de lumière chaude dans la jolie auberge. Une ombre immense parut s'étendre, comme celle d'un géant... non, ce n'était que l'effet du soleil couchant qui flamboya sur une chevelure rougeoyante. Porte close... Quelques pas vers une table à l'écart du monde, à l'écart des fenêtres. Un bruit de métal. Une légère toux qu'un druide n'aimerait guère ouïr.
Deirdre s'assit le plus confortablement possible sur sa chaise. Son armure extravagante ne lui permettait guère de se positionner comme elle l'aurait aimé, c'était une armure de combat faite pour courir et monter à cheval. Bref, peu importait. Elle posa à côté d'elle la maigre sacoche contenant ses quelques affaires de rechange. Si cette auberge pouvait lui offrir une chambre, elle la prendrait.
La Cartomancienne avait décidé de s'établir non loin de Tara, pas assez près pour être repérée par le roi qui lui en voulait très probablement d'avoir refusé son offre. Elle ne désirait pas avoir de place importante dans l'un ou l'autre des camps, ce serait prendre parti et cela n'était pas dans sa velléité. Son but n'était que de tuer Meldron et Siawn Hy. Voilà pourquoi elle désirait se rapprocher de la capitale d'Eire : ils allaient très probablement attaquer bientôt, certainement la place la plus forte de leur opposition.
Elle effleura du bout du doigt la rose qui entourait son poignet gauche. Une épine déchira sa chair, son sang perla en une goutte pourpre. Intéressée, elle contempla les perles sombre qui tombaient une à une sur le métal de sa jupe avant de glisser jusqu'au parquet. Deirdre avait une forte tendance à saigner beaucoup plus que la moyenne, ce qui était fort ennuyeux lors des combats.
Lassée au bout de quelques minutes d'un tel spectacle, elle chercha des yeux l'aubergiste, sans bouger, sans parler. Enfin, elle le vit. Une salamandre, un mâle, joliment fait et uniquement vêtu de plantes. Un sourire s'esquissa sur son visage rendu plus blafard que jamais par la fatigue intense qu'elle éprouvait. Elle espérait qu'il se rendrait bientôt compte de sa présence.
Elle prit ses cheveux et tenta vainement de les nouer en un chignon malhabile. Peine perdue, les mèches rouges retombèrent devant son visage. Elle soupira d'un air désabusé. Ce souffle déclencha une quinte de toux qu'elle tenta d'étouffer au plus vite, avec succès. Elle plaqua une main gantée de métal sur son sein droit, caché par son bustier. Sa marque, sa brûlure dirais-je, la brûlait atrocement.
Elle éprouvait l'envie de se plonger dans un baquet d'eau et de dormir. Elle avait utilisé sa magie récemment pour vaincre un soldat de Meldron qui lui cherchait querelle, sans doute était-ce la raison pour laquelle elle était aussi affaiblie. Si elle ne trouvait pas à se nourrir, à boire et à dormir, elle se mettrait bientôt à verser des larmes sombres qui la rendraient incapable d'esquisser un geste.
Elle grommela un juron. Quand cette maudite Salamandre se rendrait-elle compte qu'elle avait une cliente ?
Enfin, le regard de l'aubergiste se posa sur elle... Enfin...
Elle étouffa une quinte de toux et attendit.

C'est les yeux baissés que l'aubergiste s'approcha de la sorcière. Il tenait dans ses mains un plat de terre cuite où se trouvait une sauce singulière qui semblait très épicée à en juger par la couleur rougeâtre.
Nonchalament, l'homme salamandre posa sur la table de Deirdre la substance avant de sortir de ses vêtements de plante un parchemin usé et un bout de charbon. Un sourire triste se peint sur la figure de Tatsun qui ne levait toujours pas ses yeux sur la femme. Pourtant, il avait cette faculté particulière de la sentir, de savoir chacun de ses traits, chacune de ses mimiques et s'amusait quelque peu de l'impatience de cette dernière. D'après la salamandre aux sabots de cheval de trait, lorsqu'on parvenait jusqu'à son auberge c'est bien qu'on avait eu du temps à perdre pour s'engouffrer au coeur d'une forêt ! Ou alors cette charmante dame avait-elle une requête importante ? malgré cette allure de guerrière, l'aubergiste ne sentait pas d'appartenance particulière n'importe quel clan. Peut-être s'était-elle perdue, ou alors elle n'était qu'une mercenaire ?

-Désirez-vous vous restaurer gente dame ? le "Bois Ardent" a de multiples plats à vous proposer. Les chambres libres sont au nombre de trois. Deux n'ont qu'une couche, la dernière en a cinq. Si vous désirez boire quelque chose avant tout, ce sera offert par la maison.

D'une voix douce et calme l'homme avait lancé ces paroles au hasard. Un client au rire gras titubait non loin sur son haut tabouret et se tenait tant bien que mal sur le rebord du comptoir. Il jetait des oeillades interessés sur Deirdre car enfin les jolies femmes étaient rares dans le coin. Les restes de ces dernières n'étaient que de faibles esquisses dans les appartements d'une salamandre artiste.

-Hé toi ! Prends la chambre d'cinq ! T'vas voir qu'on aura d'la place la belle !

La salamandre se tourna lentement et jeta un oeil enflammé sur le poivrot qui aussitôt se calma avant de s'accouder sur le comptoir, dos à la sorcière. La vulgarité de cette homme allait même juqu'au pantalon coupé trop court laissant apparaître une raie immonde appartenant à des fesses bien trop grosses. Tatsun rebaissa le regard avant de retourner à sa nouvelle cliente. les cornes immenses de la salamandre bougèrent aussitôt laissant apparaître un museau rosé entre les deux. Un faible sourire égaya la bouche de l'aubergiste qui leva une main musclée vers l'animal pour que ce dernier puisse aisément s'y poser. Enawen fut posée au sol où elle sautilla gaiement avant de se mettre en boule contre la cheminée où une vieille dame contait des histoires à trois enfants. C'était celle d'une baleine se trouvant au large d'Eire qui était albinos et immortelle. Monsieur Frülden aimait à l'entendre, à capter ses intonations magiques, à se laisser transporter pas la peur, la joie mais aussi la colère. Le conte finissait bien, comme tous et les enfants heureux d'un dénouement joyeux pouvaient retourner dormir chez eux avec des images fabuleuses plein la tête.
la salamandre était toujours aux côtés de Deirdre tout en attendant la commande. Il avait le temps.

Elle ne regarda pas l'aubergiste qui s'approchait, préférant laisser son attention quelques centimètres derrière la tête cornue de l'être. Elle ressentait cruellement l'absence d'un coin dans lequel elle aurait pu s'asseoir, un coin solide qui empêcherait n'importe quel agresseur de l'avoir par-derrière. Non qu'elle fût paranoïaque, cependant toutes ces années à vivre traquée avaient laissé des séquelles sur son caractère.
Elle contempla sans intérêt véritable la texture rougeâtre qui recouvrait le plat tenu par l'aubergiste. A la manière qu'il avait de garder les yeux baissés, elle comprit qu'il savait percevoir les mimiques et les gestes. Dès lors, elle s'abstint totalement de laisser ses traits adopter une quelconque expression. Elle ignorait dans quel camp il se rangeait. S'il était du côté de Meldron, il n'était pas sûr qu'elle ressortît vivante de cette auberge, à ce prix-là seulement elle pouvait évoluer. Toutefois elle doutait que l'être de feu fût rangé d'un côté quelconque, comme elle.

- Je désire boire, manger et dormir... Si vous avez de l'absinthe.

Ce fut tout. Elle n'avait pas pour habitude de s'exprimer au-delà de ce qui était nécessaire, aucune forme de politesse n'entravait jamais ses mots. Soudain, elle entendit le rire gras d'un homme. Lentement, elle tourna la tête vers lui, ses pupilles se réduisirent à deux fentes, telles celles d'une vipère. Ce n'était là qu'une illusion, elle retirait l'ombre des pupilles pour l'insuffler dans les iris. Il était ivre.
Une expression impitoyable se peignit sur le visage de Deirdre. Ses traits se durcirent, les coins de ses lèvres s'étirèrent en un sourire des plus malsains. D'un geste rapide, vif et langoureux cependant, elle se leva et s'approcha jusqu'à le frôler de l'homme. Il sourit d'un air relativement endormi, air qui se transforma en grimace de douleur lorsqu'il sentit le genou recouvert de métal de Deirdre passer à travers les lames de sa jupe pour frapper ses organes génitaux.
Elle susurra quelque chose à son oreille, que seul lui entendit et qui le glaça d'effroi. Lorsqu'elle s'éloigna, il quitta l'auberge en courant non sans avoir laissé une bourse pleine d'or sur la table. Tranquillement, la rousse revint s'asseoir près de Tatsun.
Elle eut une quinte de toux.

- Une chambre d'un seul lit, si possible. Et quelque chose de... nourrissant et revigorant.

Elle sentit ses poumons la brûler. Vite, elle attrapa son mouchoir et le plaqua devant ses lèvres alors qu'une quinte de toux la secouait. Elle essaya de la rendre discrète, peine perdue. La marque noire entailla sa chair violemment, elle sentit une larme couler sur sa joue. Une larme sombre aux reflets d'émeraude qu'elle essuya rapidement, de sorte que nul ne put en voir la couleur. Entre deux éternuements, elle grommela un juron.
Si en plus elle devait se montrer mourante non loin de potentiels ennemis...

Tatsun griffonna enfin sur son parchemin. Une dame ? ces dernières sont souvent friandes de choses légères et goûteuses pour prendre soin d'une ligne qu'elles ont bien souvent trop mince ainsi que des papilles envieuses de saveurs inconnues mais pas moins délicieuses. Le sang animait souvent la bouche des guerriers, et à s'en méprendre Deirdre en était une. C'est pourquoi l'aubergiste opta pour une énorme côte de boeuf accompagnée d'une succulente omelette aux cèpes doux ainsi qu'un soufflé merveilleusement réussi sentant bon l'arôme de châtaigne. Il fallait le meilleur pour ces dames solitaires. L'addition avec la chambre fut vite faite et c'est avec les plats réunis que Tatsun lui communiqua le prix qui était aux yeux de tous une misère. Celà suffisait à la survie de la salamandre. De toute façon les bourses pleines manquaient dans le coin.

-La chambre sera au premier. Je vous accueille cette fois-ci avec plaisir, mais tenez à comprendre que les clients ici sont ma survie donc je vous prierai de ne pas les faire fuir de la sorte. C'est ici mon métier.

Calme toujours et bienveillant, la Salamandre jeta un torchon rougeâtre sur son épaule avant de caresser une petite tête blonde. Cette dernière prit Tatsun dans ses bras. Il serait bientôt l'heure pour les enfants de se coucher et ces derniers ne partaient jamais sans embrasser la salamandre. La vieille dame se leva à son tour aidée par l'aubergiste et partit aprè avoir pris avec elle une lanterne. le feu effrayait les bêtes sauvages et la vieille dame avait l'habitude de leur contact. Monsieur Frülden ne se faisait donc aucun mourron pour elle.
Quelques poivrots restaient au bar mais ne s'interessaient pas à Deirdre. L'un d'eux venait de perdre sa fille, enlevée par une ombre quelques jours auparavant. Le nez dans un verre au liquide jaunâtre il avait les yeux vides et vitrés de l'homme ivre perdu d'avance.
Tatsun passa derrnière le bar et servit une dose importante d'absinthe à la nouvelle venue et emmena l'alcool à sa table tout en se frottant les mains.

-La chambre est propre et confortable, vous verrez. Une sonette se trouve à proximité de votre couche. En cas de besoin vous n'aurez qu'à sonner. Le petit-déjeuner est servi ici à votre réveil. Je vous souhaite de passer une agréable nuit.

La salamandre retourna au comptoir derrière lequel il glissa la bourse. Quand le poivrot reviendrait prendre sa gnole son dû lui reviendrai. Il n'était pas âme dans le coin qui puisse voler son prochain. la misère et la guerre gagnait impitoyablement toutes les fermes et la Salamandre était un des premiers à se faire un si grand souci pour le peuple...

[c'est bon les cèpes, n'est-ce pas, Tatsun... *référence à une certaine photo^^]

Deirdre posa les quelques pièces demandées sur la table avec une ombre de soupir. Sa quinte de toux s'était enfin atténuée, la laissant haletante. Une lueur s'alluma dans ses yeux lorsque l'aubergiste posa devant elle l'énorme côte de boeuf saignante. Le sang, son odeur... une bête morte peu auparavant, bien charnue et élevée à l'air pur. Pas très loin d'ici, probablement. Cela n'était pas bien difficile à deviner pour une guerrière... l'aubergiste avait décidément un talent certain. Elle s'autorisa à sourire, un faux sourire, laid et peu naturel, mais qui signifiait bien quelque chose.
Les remontrances de la salamandre l'effleurèrent à peine, elle y répondit d'un "hum, hum" mi-approbateur, mi-désintéressé. Il n'avait rien à lui dire, elle le payait. Et on ne manquait pas de respect à la Solitaire, jamais. Un rire nerveux secoua ses épaules alors qu'elle rétorquait d'une voix rendue rauque par sa toux :

- L'ivrogne reviendra pour votre absinthe.

Elle attrapa son couteau et sa fourchette et commença à découper sans grand soin sa viande qu'elle avalait à bouchées respectables. Peu à peu, elle se sentit régénérée. La douleur de sa marque s'atténua et sa gorge, rafraîchie et brûlée à la fois par l'absinthe, ne la faisait plus souffrir. Elle remplissait avec un délice non dissimulé son estomac plus vide qu'une outre d'eau après la traversée d'un désert.
Bouche pleine encore, elle leva les yeux vers Tatsun qui la renseignait sur la chambre. Avalant avec peine, elle acquiesça de la tête. Elle pourrait se reposer. D'ordinaire, elle était plutôt un animal nocturne, cependant la fatigue se faisait sentir en ce jour. Elle devait soigner quelques plaies bénines provoquées par un loup sauvage - pas un guerrier, une bête... qui avait profité d'un instant de faiblesse. Les animaux étaient les premiers à souffrir de cette guerre.
Elle sortit son mouchoir taché de sang et tamponna ses lèvres. Elle se tenait droite, relents d'une bonne éducation ancestrale. Les Deh Sharandar ne négligeaient jamais l'instruction de leurs héritiers, Deirdre n'avait pas fait exception. Cependant, elle oubliait peu à peu tout ce qu'elle avait appris, nul ne devait deviner qui elle était. Aucun des ivrognes présents n'avait encore deviné qu'elle était la Cartomancienne... Tatsun ? Peut-être. C'était sans importance.
Elle finit d'avaler.
La côte de boeuf était déjà bien entamée. Elle s'attaqua à l'omelette, délicieusement fondante et réchauffante. Cela faisait déjà bien longtemps que Deirdre n'avait pas fait d'aussi bon repas. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas fait de repas, il fallait dire. Une bonne semaine. Elle devait la vie à l'aubergiste, elle tâcherait de s'en souvenir si un jour il se trouvait sur son chemin.
Elle se rappela soudain qu'elle avait des renseignements à demander et lança, pas seulement à Tatsun, mais aux autres clients :

- Où peut-on trouver un cheval dans la région ?

Elle avait perdu sa monture quelques jours auparavant dans une embuscade tendue par les Loups - les vrais, cette fois. C'était fort triste pour cette bête magnifique et élégante. Puissante, surtout... Pauvre cheval. Elle avait dû le sacrifier pour sauver sa vie et en avait profité pour tuer quelques soldats, sans atteindre aucun des Loups. Quelle plaie, ces guerriers !

L'aubergiste tendit l'oreille à la demande de Deirdre. Un ivrogne se mit à montrer humouristiquement les pattes de la salamandre dans le dos de ce dernier en étouffant un rire gras. Tatsun ne s'était bien évidemment douté de rien et tourna sa figure angélique vers la dame de l'ombre en esquissant un doux sourire. Il savait où elle pourrait trouver un animal digne de ce nom, une bête douce et agile comme il faudrait à la solitaire, un animal ne manquant pas de force et de panache, enfin une bête lui tenant compagnie, une attache qu'elle n'avait encore malheureusement pas.

-Quand le Soleil aura pointé, dirigez-vous vers l'Ouest sans vous retourner. Un village aux toîts pointus vous accueillera. Il répond au nom "d'Atha" et l'on murmure que là était le berceau d'Indra Reine d'Eire. Au Sud de la fontaine qui ne coule plus se trouve une grande écurie. le gérant répond au surnom de "Söltra" et vend de très bonnes bêtes pour un prix moindre. Dites que vous venez de la part de l'aubergiste Salamandre et ce brave homme saura bien vous faire un bon prix !

L'aubergiste retourna de ce pas vers le comptoir, non sans avoir confisqué préalablement le verre de son railleur pour le donner à un de ses amis qui le but d'un trait.

-J'vois q'c'est pas l'fête c'soir ! Grogna le poivrot dans sa barbe. Allez, à d'min !

L'homme prit sa veste qui posait au coin du feu et prit la direction de la porte en pestant contre le manque d'humour de la salamandre. ce dernier avait pris le balais pour décrasser le sol souillé par les pas des travailleurs crasseux. Un petit lapin joua un instant avec les poils du balai avant d'être expulsé par ce dernier et de glisser joyausement sur les dalles fraîches du sol. C'était le jeu favoris de l'animal qui pour un lapin était certainement une chose fort singulière.
Attiré par le fumé de la nourriture de Deirdre le lapin s'approcha de cette dernière et remua son petit nez rose en penchant la tête vers la gauche. Ses yeux coulants et ses poils tombants le faisaient ressembler à un animal dépressif. Enawen avait tout des traits tirés et tristes de son maître. Pourtant, il fut bien vite rappelé par Tatsun qui lui jeta une patate au hasard de la pièce à son grand contentement.

-J'prends une d'rnière bière p'tron !

La salamandre s'approcha du poivrot et lui servit copieusement un verre dont la mousse odorante colora la large moustache de l'homme, et ce dernier fit rouler sur le comptoir quelques pièces de bronze.
Dans un baillement, l'aubergiste leva des yeux incandescents au plafond.

Furieuse, Deirdre foudroya des regards l'ivrogne. Ainsi se moquer des gens dans leur dos était la preuve d'une grande lâcheté qu'elle méprisait au plus haut point. L'homme leva les mains en signe de paix, elle haussa un sourcil avec une grimace aux lèvres. Pour l'instant, elle n'agirait pas. De toute manière, il semblait que l'aubergiste était si doux et calme qu'il n'aurait pas mal pris la chose. Comment pouvait-on être aussi faible ? Deirdre en était désespérée.
Elle écouta attentivement les explications de la salamandre en hochant la tête. Le prix de la bête n'était pas important, tout ce qui comptait était sa puissance, sa rapidité et son courage. Si l'animal ne savait galoper sur plus de trente mètres, elle ne débourserait pas une pièce. Elle espérait que ce Söltra avait en effet de bonnes bêtes, ce serait ennuyeux d'avoir fait un tel trajet sans résultat.
Sirotant son absinthe, elle constata que l'aubergiste avait confisqué son verre au poivrot. Celui-ci s'en alla en maugréant, non sans recevoir un clin d'oeil mesquin de la part de Deirdre. Tout se payait un jour, et Siawn Hy lui-même en ferait bientôt l'expérience. A cette simple pensée, elle se remit à tousser. Vite, elle prit une gorgée d'alcool qui lui réchauffa agréablement les entrailles.
Soudain, un petit nez rose s'approcha de sa nourriture. Deirdre haussa un sourcil, surprise, devant un lapin à l'air dépressif qui paraissait très intéressé par l'omelette. Elle prit farouchement ses couverts, décidée à garder son territoire comme il le faudrait. Heureusement pour l'animal, son maître l'envoya à la poursuite d'une pomme de terre. La guerrière découpa un nouveau morceau de côte de boeuf, plus qu'énorme, qu'elle avala presque sans mâcher. Le goût en était absolument délicieux, il faudrait qu'elle songe à donner un pourboire à la salamandre.
Enfin, les derniers clients quittèrent la salle. Un ivrogne but une dernière bière, les pièces roulèrent sur le comptoir. Deirdre resta seule avec Tatsun, silencieuse. Elle hésitait à lui poser la question qui lui taraudait les lèvres. S'il n'avait pas de réponse, elle se serait trahie pour rien. S'il en avait une, ce serait un grand avancement. S'il était dans le camp des Loups - peu probable, mais il fallait se méfier des apparences - elle risquait gros. Finalement, elle envoya au diable les risques potentiels.

- Sauriez-vous par hasard si... dans les parages... un campement de guerriers a été établi ?

Elle tenta de calmer son rire nerveux, peine perdue. Allait-elle pouvoir enfin tuer ce chien, ce mécréant ? Ou l'aubergiste lui refuserait-il cette information..? Elle avala, pour se donner contenance, le dernier bout de son omelette et fit venir dans son assiette vide le soufflé aux châtaignes qu'elle attaqua d'un bon appétit, non sans finir son verre d'absinthe. Elle se pourlécha, attendant une réponse, quelle qu'elle fût...

La Salamandre lavait et essuyait maintenant quelques verres avec des torchons d'une propreté étonnante. Avant tout, Tastun tenait à l'hygiène et au confort de son auberge. c'était bien normal, il servait des êtres humains, pas des chiens bien que parfois on se demande si celà est juste. A la question de Deirdre l'homme ne tressailla pas et continua le lavage de sa vaisselle, les yeux baissés et les sens au repos. La singularité de la salamandre était qu'il était parfois capable de dormir en travaillant, mais une demande réveillait toujours son esprit bien plus vif que ce qu'on aurait pu croire de sa personne taciturne.

-On entend parfois des clients parler de choses et d'autres que je ne serais capable de vous redire. les discussions se contredisent et les gens de la basse Eire ont peur pour leur vie et leur bétail. Ne sortant point d'ici, je ne serais malheureusement pas capable de vous avancer dans votre quête. Cependant, si vous avez besoin de quoi que ce soit, je ferais mon possible pour vous ravitailler en nourriture, boisson et je sais où trouver du matériel de combat.

L'aubergiste se tut aussitôt et le lapin sautillait sur le comptoir vide, léchant de ci et là les gouttes d'alcool tombés par les clients avant de s'écrouler et de ronfler le ventre à l'air. Le singulier animal faisait des bulles avec son nez et dans un soupir la salamandre le prit avec délicatesse dans ses mains chaudes pour le poser dans une crèche au coin du feu. Ce dernier commençait à flancher, et d'un souffle l'homme aux sabots le raviva avec une vivacité étonnante. Ses pas résonnaient sur le sol de pierre et bientôt d'autres pas à l'étage se firent entendre.

-J'arrive pas à dormir... Et si mama ne revenait pas ?

Un enfant d'à pau près sept années fit son entrée. Il était nu pieds, habillé d'un ample habit de lin blanc et traînait derrière lui un ours abîmé fait de chiffon divers mais gardant un charme certain. Tatsun s'approcha de lui et l'assit sur la peau d'ours devant le feu.

-Ta Mère sera ici demain à l'aube. Je la devine qui a retrouvé ses brebis dans la montagne, mais tu sais qu'une centaine de bêtes à ramener dans une bergerie en pleine nuit est un travail difficile pour tes parents! Et ceci est bien normal ! Va dormir, Baptistain. Si ta soeur se réveille elle sera effrayée de ne plus te voir. Je monte dans une deie-heure te mener une tisane au miel.

Le petit garçon enlaça la salamandre avant de remonter les escaliers de l'auberge qui grincèrent sous son triste poids. L'aubergiste considéra un moment Deirdre puis il prit la parole:

-Il n'est jamais sûr en ces moments que les gens reviennent. Si jamais il se trouvait que ces enfants soient mivrés à leur triste sort, accepteriez-vous de les mener au village où vous trouverez les chevaux ? Il y a là-bas leur tante qui pourra sans peine les prendre à charge, elle est la femme de l'homme d'écurie.

Deirdre se mordit la lèvre inférieure. S'il ne savait rien, c'était fâcheux. Elle s'était trahie sans résultat. Elle baissa les yeux, attristée. Pourquoi s'entêter à poursuivre Siawn Hy ? Ce n'était pas directement sa faute. Il n'avait sans doute pas commandité à son serviteur de la capturer, elle n'avait jamais rien eu à faire avec les Loups. Ni avec Eire, par ailleurs. Elle n'avait pas cherché à pactiser avec qui que ce soit. A présent, la force des choses la rendait presque partiale. Autrefois, si on lui avait demandé son avis, elle aurait déclaré que Meldron avait de bonnes idées. Cependant, elle n'approuvait pas ce prétendu droit à la succession. Chaque chose se méritait, même la richesse et surtout un trône. L'avait-il mérité, ce prince usurpateur ? Certes non, après réflexion. D'autres étaient bien plus qualifié pour régner.
Les services que Tatsun pouvait lui rendre étaient bien dérisoires. Tant pis. Elle chercherait ailleurs, dût-elle se jeter dans la gueule d'un Loup pour les pouvoir approcher. Elle se massa les tempes, en proie à une vive réflexion. Où pouvaient se cacher Siawn et ses hommes ? Elle les savait dans les parages. Ils avaient un caer en Prydain et, depuis quelques temps, des témoignages se faisaient comme quoi des débarquements avaient lieu sur les plages d'Eire. Mais où diable étaient-ils ? Elle soupira.
Son regard s'approcha de l'enfant assis sur la peau d'ours. Elle appuya sa tête sur une main. Il était si jeune, et déjà perdu dans la tourmente. Sa mère était bergère... dirait-elle à Tatsun ce qu'elle avait vu ? Oui, il le fallait. Elle attendit qu'il fasse remonter à l'étage son protégé pour prendre la parole. Cependant, il la devança en lui demandant de l'emmener. Elle réfléchit un moment. Ils ne la dérangeraient pas tellement dans le voyage, mais s'ils devaient se battre...

- En un mot comme en cent, je l'ignore. Pour ce qui est du trajet, nul ennui, mes épaules sont assez robustes pour les porter. En revanche, si l'on nous attaque...

Elle laissa sa phrase en suspens. Elle ne voulait pas en dire plus. Son regard se perdit dans les flammes de l'âtre. Elle savait bien que Siawn Hy voulait sa tête sur un plateau d'argent. Elle esquissa un sourire. S'il voulait la sienne, très bien, mais les innocents n'avaient pas à en pâtir. La Cartomancienne savait qu'elle pouvait très bien se débarrasser de tous les soldats assez rapidement, avec quelques arcanes mineures, toutefois l'énergie demandée était si importante qu'elle ne pourrait plus soutenir l'enfant. Elle se remémora le visage triste et apeuré du gamin, imagina celui de sa soeur. Elle n'avait ni pitié, ni morale, pourtant ses quelques notions de justice lui commandaient de prendre soin des enfants.

- Je les accompagnerai au village d'Atha. Prévenez-les que demain à l'aube je les viendrai chercher.

Son coeur battit plus fort. Les mots suivants seraient difficiles.

- Il y a quelques heures, avant d'arriver chez vous, j'ai croisé un cadavre. Une bergère... entourée d'une centaine de brebis, la plupart égorgées comme par des loups. Je sais que Siawn Hy et sa bande sont dans les parages. Ils ont tué leur mère. Annoncez-leur. Je n'ai aucun talent pour cela.

Elle ricana nerveusement, ses épaules tressautant sans qu'elle comprît vraiment pourquoi. Elle se leva, salua Tatsun et alla enfin se coucher.

La salamandre ne répondit pas et laissa la Dame se diriger vers sa chambre. Il avait senti le malheur et sentait en la sorcière une puissance jusqu'alors inconnue mais sur laquelle il savait pouvoir compter. L'homme leva ses yeux de feu sur la cheminée devant laquelle il s'approcha. Le lapin se réveilla et le regarda singulièrement. Ainsi commença une scène bien peu commune. Tatsun mit sa main dans les flammes qu'il toisait avec une attention particulière. Lentement, un médaillon se forgea du feu comme par enchantement dans les mains de l'aubergiste qui bientôt fit naître du charbon un pendentif d'or d'une beauté inouie que même les Rois ne possèdent pas.
Sur une des tables -celle de Deirdre précisément- l'homme le déposa et y joint un manuscrit griffoné, mais compréhensif.



A côté des cendres chaudes Tatsun s'étendit et tira du coin de l'âtre un feuillet de croquis dont nombre de pages manquait. Un charbon, un ssouffle pour en ôter le feu puis l'inspiration.
L'esquisse qu'il fit de Deirdre était d'une beauté saisissante. L'aubergiste avait capté le moindre de ses gestes, le moindre de ses tics et même si ces derniers n'étaient pas toujours d'une grâce exemplaire ils faisaient partie de sa personnalité.
Fatigué, l'homme se leva après avoir laissé rouler un fusain sur le sol. Ses sabots lourds montèrent les escaliers de bois, faisant largement grincer ces derniers et il entra dans une chambre propre, mais simple.
A côté d'autres croquis Frülden déposa le nouveau, juste à côté d'un qu'il aimait particulièrement... La Reine d'Eire.
L'aubergiste soupira. Quand donc la vérité reviendrait au sein de la couronne ? Narvöl devrait bientôt reprendre sa place et cette idée poignarda la salamandre en plein coeur. Au fond, il était davantage son petit à lui qu'aux Rois aussi nobles et puissants soient-ils ! S'étaient-ils une fois préoccupé de sa situation ? Voilà la raison de la neutralité de Tatsun dans la guerre. En finalité, les uns ne valaient pas vraiment les autres.
C'est dans des pensées tourmentées que l'aubergiste monta sur son lit de paille pour y dormir debout, comme les chevaux, une oreille aux aguets.
Sa peau ne brûla bientôt plus et c'est dans un froid et un silence gelé que fut bientôt enseveli l'Auberge du Bois Ardent, propriété d'un aubergiste Salamandre.
Le lendemain serait encore un autre jour.

La jeune femme ouvrit la porte de sa chambre. Oh, elle n'était pas immense ni luxueuse, cependant il y faisait bon et le décor était agréable. La paillasse dégageait une agréable odeur de bruyère, un baquet permettait de prendre un bain. Une table, une chaise et une armoire en bois complétaient l'ameublement sobre et uniton. Elle se sentit bien, protégée dans cet endroit si chaleureux. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres, accompagné d'une larme noire sans cause réelle qu'elle essuya d'un revers de main.
Il n'était pas raisonnable de se départir de son armure pour dormir, toutefois elle voulait se laver. Elle délaça les liens de cuir qui retenaient ensemble les parties métalliques et se retrouva bien vite nue au milieu de la pièce. Elle versa l'eau d'une cruche dans le baquet. Sa peau excessivement pâle tressaillit au contact du liquide glacé. Ses cheveux flamboyants attachés en un chignon rudimentaire, elle frotta son corps pour en faire partir la crasse. Bien vite, son épiderme fut rougi par le froid et les frottements. Quand enfin elle se sentit propre, elle s'extirpa du baquet. L'eau s'en évapora.
N'ayant aucune serviette à sa disposition, elle s'ébroua comme un chien. Elle prit la chemise qu'elle avait coutume de porter son armure pour n'être pas blessée par le métal et s'en revêtit. Elle s'étendit sur la paillasse et sombra dans un sommeil profond et réparateur, troublé de cauchemars venus d'un lointain passé.

Lorsqu'elle sortit des bras de Morphée, l'aube illuminait à peine le monde. Elle constata avec contentement qu'elle gardait cet ancien instinct qui la forçait à ne dormir que le strict nécessaire. Elle se vêtit de son armure et vérifia bien que sa bourse était toujours attachée à son côté. Elle l'ouvrit brièvement et compta ce qu'elle contenait : deux ou trois pièces d'argent dérobées à un mercenaire qui avait voulu la tuer, une bonne douzaine de pièces de bronze gagnées plus ou moins légalement. Elle ferma les yeux. Bientôt, il lui faudrait utiliser l'héritage de sa famille pour survivre.
Elle descendit, non sans avoir remis la pièce en ordre, dans la salle de l'auberge. Là, elle trouva le médaillon et le mot de Tatsun. Elle en fut touchée, chose rare. Un pouvoir supplémentaire ne lui serait pas de trop dans cette guerre, même si elle ignorait comment se servir de ce bijou. De plus, ses autres dons lui étaient très obscurs, et elle n'avait pas du tout conscience de sa puissance.
Elle attacha le pendentif autour de son cou et le cacha dans son corsage. Plus tard on en connaîtrait l'existence, mieux ce serait. Elle vérifia sur une inspiration subite que son tarot était toujours sur elle. Rassurée, elle se mit en quête de quelque chose pour écrire et le trouva derrière le comptoir. Elle écrivit un mot, bref, dont la graphie stylisée et élégante trahissait l'origine noble de son auteur.



Elle signa de son nom. Elle ne se sentait pas en droit de cacher à la salamandre quoi que ce soit. Enfin, elle prit une bouteille d'alcool fort, du pain, du fromage et de la viande séchée pour elle et les enfants. Elle se munit également d'un peu de lait. Enfin, les deux petits à l'air ensomeillé entrèrent dans la salle. Sans parler, elle enfouit ses vivres dans un sac qu'elle fixa sur son dos par des sangles. Enfin, elle se tourna vers ses deux protégés et soupira. Ils étaient si jeunes...

- Je vous emmène chez votre tante d'Atha... Vous sentez-vous en état de marcher ?

Les petits acquiescèrent et lui prirent spontanément la main. Elle en fut suprise mais se laissa faire, sortant de l'auberge avec eux. Elle ne jeta pas un regard en arrière et se dirigea vers Atha...

[suite... bah, à voir xD]

Quand Tatsun descendit de sa chambre, il se dirigea vers la cuisine, l'air encore endormi. Il était de temps de faire un copieux petit-déjeuner à ses hôtes, et se trouva fort dépourvu de l'annonciation de l'absence de Deirdre et des deux petits. Le mot lui tira un triste sourire. La sorcière aurait bien pu dérober toutes les denrées, elle mériteait bien de manger. Faible comme elle l'était, il espérait qu'elle ait asssez de forces pour amener les petits jusqu'au pays d'Atha.
Nonchalament, la salamandre alluma ma cheminée. Les cendres froides voletaient de ci et là autour de la grande salle et Tatsun grogna dans sa barbe. c'était chaque matin pareil et il passait un temps fou au balais. Tant pis. Le principal était que l'auberge soit chaude, et donc que les clients se sentent à l'aise.
Quand les flammes apparurent dans l'âtre, l'aubergiste empoigna un vieux balais et commença sa corvée matinale tout en repoussant un baillement. Ce dernier se coinça dans sa gorge avant de passer le long de sa trachée avec difficultés. Il était redoutable, celui-là !
Les marches de l'escalier craquèrent, et un gnome dont la barbe trainait au sol salua avec jovialité Tatsun. Ce dernier venait fréquemment au Bois Ardent, et en tant qu'habitué le patron savait avec exactitude ce que ce dernier prenait au petit-déjeuner.

-Votre bière et une cuisse de dinde Monsieur Hyatüs ?

Le petit homme aux joues rouges sourit avec contentement et mit sur sa tête un long bonnet rouge possédant un grelot tintant avec joie. tatsun aimait bien cette figure. D'ailleurs, rares étaient ceux que Tatsun n'aimait pas. Enawen se leva et s'étira. Un grand baillement résonna alors que l'aubergiste mettait sur son épaule son torchon. Vieille habitude.

-Hé béh, elle s'en fait pas !

Avec un sourire, Früdlen caressa sa lapine avant de lui lancer une feuille de laitue que l'animal attrapa au vol. Le petit-déjeuner fut emmené au gnome qui plongea sa large moustache dans la mousse de son alcool avec délice. L'homme était un guerrier à la solde d'Indra qui couchait l'herbe à l'aide de sa hache d'argent dans l'espoir de débusquer quelques ennemis. Celà faisait bien longtemps qu'il n'avait trouvé trace d'un membre de la horde.

-La Fille, hier... Elle était louche...

-Je vous coupe de suite, Monsieur Hyatüs ! Cette Fille n'est pas une trace pour toi. J'en ai des preuves formelles.

Le petit homme grogna. Il savait que la salamandre ne mentait pas et qu'il ne pourrait tirer davantage de renseignements. Il paya son dû et sortit de l'auberge, laissant seul Tatsun qui, accoudé au comptoir côté commerçant attendait sa clientèle.