Histoire :
"Je suis Alastar, fils de Nadjyra et Erwan Cat'Sallan, paysans de Tara.
Je suis Alastar, le guerrier raté qui aimait trop.
Je suis Alastar, l'orphelin, le naïf, le mal-né."
Je n'ai jamais connu mes véritables parents. Je ne suis pas même sûr d'en avoir, c'est un peu frustrant. Non, je ne suis pas un innocent qui croit que les enfants naissent dans les choux ! Mais disons qu'à force de chercher qui sont mes géniteurs, et à force de me heurter à des cloisons infranchissables, j'ai fini par croire que j'étais vraiment l'Orphelin que l'on dit que je suis. Voici donc mon histoire, telle que je puis m'en souvenir, telle qu'elle me revient.
"Al ! Al ! Nom d'un chien, réveille-toi !"
J'ouvris sans grande conviction une paupière, puis l'autre. Malencontreusement, la première retomba alors que je soulevai la seconde. Je décidai de clore mes yeux et de me rendormir comme la lumière du soleil agressait mes pâles prunelles. Avec un grognement, je me tournai sur le côté. Je devais avoir cinq ou six ans, âge auquel les souvenirs commencent à naître. Mes cheveux d'un pâle violine étaient les seules choses qui émergeaient de sous ma couette.
Je sentis deux petites mains se glisser sur mes épaules, puis une violente secousse. Je hurlai en tombant de mon lit, puis feignis l'évanouissement. Ma jeune soeur, Eireen Meridwen Cat'Sallan, s'approcha de moi avec un air contrit sur le visage. Je sentis ses petites lèvres humides se poser sur mes joues, puis ses pleurs. Elle croyait m'avoir tué. Alors qu'elle se serrait contre moi, je l'enlaçai et lui murmurai à l'oreille :
"Je suis ton pire cauchemar..."
Elle hurla et se débattit. Je me mis à rire et la posai sur le lit. Nous nous regardâmes puis pouffèrent, en jeunes enfants insouciants que nous étions. Eireen était blonde aux yeux bleus, d'une joliesse qui dépassait l'entendement, héritage de mon père Erwan. Il était Irlandais de pur souche, quant à ma mère Nadjyra elle venait de lointains royaumes orientaux et avait d'ailleurs la beauté sulfureuse des femmes de harem.
Je ne m'étonnais pas de ne pas leur ressembler.
"Eire, qu'est-ce que tu voulais ?"
Mon étourdie de soeur me regarda d'un air étrange, puis enfin, elle comprit. Son visage reprit une expression excitée et elle me prit par la main.
"Viens, Al ! Papa a une surprise !"
Je passai rapidement un pantalon sur mes fesses nues et la suivis. Maladroitement, je tentai de me coiffer : père ne m'aimait pas, aussi tentai-je toujours d'être parfait devant lui. J'avais l'air piteux lorsqu'Eireen et moi arrivâmes à l'atelier de Père, avec mes cheveux à moitié attachés, ma chemise beige qui pendait sur mon pantalon et mes pieds nus. Je m'attendais à recevoir une correction, il n'en fut rien. Au lieu de cela, il me sourit. A côté de lui se tenait un de ses amis, un barde. Tegid. Il me sourit lui aussi, chose que je trouvai instantanément bizarre.
J'appris que j'allais partir. Mère en pleurait, Eireen n'en comprenait pas l'enjeu, Père s'en réjouissait. Moi, j'appréhendais simplement, avec mon calme légendaire et mon courage, aussi maigre soit-il. J'étais inscrit à l'école d'Ynis Sci et j'allais apprendre les armes sous la direction de la terrible Scatha, guerrière aux yeux de chat.
Le bateau sur lequel j'eus à embarquer dut souffrir une tempête. Pendant la saison de sollen, c'était très fréquent, et je bénis le Dagda de ne pas m'avoir doté du mal de mer en voyant quelques-uns de mes camarades vomir par-dessus les rambardes. Au début, je trouvai cela amusant. Puis, après que certains eurent rendu leurs repas sur le pont, je trouvai que l'odeur était franchement incommodante.
Finalement, nous arrivâmes à Ynis Sci. La belle Scatha nous attendait sur le rivage, perchée comme un homme sur un beau cheval à la robe alezane. Elle imposait immédiatement le respect et tous mes camarades s'inclinèrent devant elle. Sauf moi. J'ai découvert ce jour-là que plier l'échine m'était rigoureusement impossible (problème de colonne vertébrale ? fixation mentale ? Allez savoir !). Scatha haussa un sourcil, esquissa un sourire amusé. Je compris qu'elle m'aimait bien.
Je vécus à Ynis Sci pendant cinq années. Cinq années plutôt difficiles mais tellement enrichissantes...
"Alastar ! Pare vers le bas ! Et laisse ta g..."
Peine perdue. J'avais paré le bas, mon adversaire m'avait frappé au front. Je gisais au milieu de la salle d'entraînement, étourdi. Il paraît que j'avais un sourire particulièrement niais sur la figure. Pen-y-Cat soupira, me souleva par les aisselles et ordonna aux autres de continuer sur ordre du maître d'armes. Elle m'amena jusqu'à l'infirmerie et me veilla le temps que je me rétablisse. A la fin de ce temps, elle me toisa gravement puis prit enfin la parole :
"Alastar, tu n'es pas fait pour..."
Je l'interrompis immédiatement et plaidai ma cause. Si je ne revenais pas avec le sabre en bois qui marquait la fin de mes études à Ynis Sci, mon père me tuerait. Je tenais quand même un peu à la vie. J'allais m'accrocher, c'était promis, j'avais neuf ans et j'étais plein de ressources. Si elle me laissait rester, je lui prouverais que je valais tout aussi bien que mes camarades. Elle me regarda avec un sourire maternel qui me réchauffa doucement.
Elle accepta ce marché. Si dans deux ans, je n'étais pas un guerrier, je partais sans le sabre. Je n'avais plus que deux ans pour m'améliorer et ma foi, cela me suffit car la promesse que recelaient les yeux de la belle Scatha me motivait au-delà de toute mesure.
Je combatis à merveille durant les deux années restantes. Enfin, mon corps de gamine se muscla un peu et je devins un vrai guerrier. Il restait ma terrible maladresse que je ne parvins pas à guérir, handicap très certain dans ma quête de muscles. Le nombre d'armures qui churent durant mon séjour sur Ynis Sci fut, comme me le fit remarquer Pen-y-Cat, supérieur à celui qu'on avait connu durant des années d'existence. J'en rougis encore.
Le jour de mes onze ans, Scatha me délivra le sabre de bois. Je pus quitter Ynis Sci le coeur léger avec la permission d'y revenir lorsque mon coeur le jugerait bon : Pen-y-Cat m'avait pris d'affection.
Je retournai chez ma famille. Père m'y accueillit fort froidement, quant à ma mère, j'appris qu'elle était décédée d'une maladie quelques années plus tôt. Je fus fort triste de l'apprendre... elle ne méritait pas cela. Je conçus une forme de haine à l'égard d'Erwan qui laissait ainsi mourir son aimée, qui plus est sans m'en avertir. Ce soir-là, je compris pourquoi.
Quatre chevaux sont venus de l'orage, crinière blanche au vent. Robe de neige et sabot de cristal, montés par quatre cavaliers albescents. Ils tentèrent de dévaster la maison. Père défendit ses biens, il fut tué sans ménagement. Je pris Eireen par la main, elle avait seulement neuf ans et avait le droit de vivre. Apparemment, la colère des chevaliers en armure ne devait pas s'abattre sur nous, mais je décidai de parer à toute éventualité.
Alors que nous courions à travers les forêts, haletante, Eire m'avoua qu'elle n'était que ma demi-soeur. Je ne l'écoutai que d'une oreille distraite, elle charcutait pourtant ma peau de ses ongles. Je brandissais devant moi le sabre de bois et dégageais un chemin qui nous permit d'arriver à l'auberge de Tatsun Frülden sans grande encombre.
Je poussai la porte, haletant, tenant toujours la main d'Eireen entre mes doigts. Elle gémissait, j'avais serré sa paume plus qu'il n'aurait fallu. En nous voyant entrer, les ivrognes se tournèrent vers nous, intrigués. Je m'effondrai à moitié et demandai de l'eau et une chambre avant de m'évanouir, curieusement épuisé. Eire tomba à genoux à côté de moi en pleurant presque.
Lorsque je m'éveillai, une curieuse Salamandre aux cornes développées veillait sur moi. Je sursautai et poussai un petit cri, il posa sur moi une main rassurante. Je devais apprendre qu'il était Tatsun Frülden, l'aubergiste, et qu'il savait énormément de choses. Il m'apprit qu'Eireen était morte de fatigue, alors les paroles de ma soeur me revinrent en mémoire. Je résolus de connaître au plus vite la véritable identité de mes parents.
Tatsun m'hébergea le temps que je reprenne des forces et nous devînmes bons amis. Je lui appris que j'étais un guerrier de Scatha et que je cherchais à entrer dans l'armée d'Eire, il accepta de me mener jusqu'au commandant. Bourru, désagréable, celui-ci prétexta que j'étais trop jeune. J'eus un soupir et déclarai à Tatsun que je ne pouvais payer mon hébergement, aussi préférai-je partir. Il ne me retint pas, et déclara simplement que j'étais le bienvenu, que j'aie de quoi payer ou pas.
Je retournai dans la maison de mon enfance. Tant de souvenirs. Je pleurai... je pleurai longuement. Pourtant, rien ne me manquait. J'avais juste besoin d'évacuer. D'où étaient venus ces cavaliers ? Je ne savais rien d'eux. Lorsque j'avais demandé à mon ami Salamandre s'il les connaissait, il m'avait demandé s'ils avaient un emblème de loup, ce qui n'était pas le cas. Il avait paru surpris.
Non, ces guerriers n'appartenaient pas à la Horde des Loups que je combats... Ils étaient trop lumineux pour cela.
J'errai à travers tout Eire à la recherche de petits travaux qui conviendraient à mes frêles bras. Je gagnai peu et dépensai encore moins, ce qui fit que lorsque je revins à Tara, j'avais assez d'argent pour me payer quelques nuits chez Tatsun. Ses prix étaient très peu élevés, d'ailleurs il tenta de refuser mes pièces. Je l'obligeai à les prendre. Chaque année, je retentai d'entrer à l'armée, chaque année, j'étais refusé. A chaque fois, je repartais à travers le monde avant de me repayer quelques journées chez Tatsun. Un jour, je rencontrai un homme qui déclara mystérieusement que la guerre n'était pas pour moi...
C'était la deuxième fois que l'on me disait ça. Mais je n'étais pas d'accord et je n'entendis pas les paroles insidieuses de celui qui était un Loup, comme je devais l'apprendre plus tard. Non, peu m'importait. Même si la guerre n'était pas pour moi, je m'y adonnerais...
Je répète encore et toujours le même cérémonial à la recherche de mes origines. Qui sait, peut-être découvrirais-je que je suis un fils de barde...
"Je suis Narvöl, fils d'Indra et de son époux, souverains d'Eire.
Je suis Narvöl, le maître de la lumière qui s'ignorait.
Je suis Narvöl, l'abandonné, le méconnu, le mal-né."